Un Méens à Santo Domingo

Journal

Juillet 1998


Dimanche 12 juillet 1998

14H Quelque part au milieu de l'océan Atlantique.
Le ciel est bleu au-dessus des rares nuages, et la mer étonnamment rugueuse. Nous volons pourtant à 12.0000 Mètres, à prés de 900 km/h. 2 gentilles perturbations viennent rompre la monotonie de notre vol avant l'arrivée à l'escale de St-Martin. Autre événement de ce vol pourtant, le premier but d'un match qui restera dans les annales; et précoce patriotisme des touristes bedonnants...
Deux heures plus tard nous atterrissons enfin à l'aéroport "Las Americas" proche de Santo Domingo, capitale de la République Dominicaine, et théâtre de ce que sera ce nouveau journal de voyage. Celui-ci est sensé être dans la continuation de "Un Méens à Moscou" rédigé entre avril et juin 1997.

"Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages: que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche." (Montaigne)

Lundi 13

Malgré le décalage horaire de 6H, je n'en ressens pas trop les effets en m'étant couché tard la veille; hier soir, nous avons fêté la victoire, mais pas de manière aussi enthousiaste que je l'aurais cru pour des expatriés.
Ce matin, première rencontre avec Monsieur Robert A. le conseiller culturel et scientifique de l'ambassade, mon supérieur hiérarchique direct. Supérieur pour peu de temps néanmoins, puisqu'il part à la fin du mois en congé sabbatique, et qu'il ne sera remplacé qu'en septembre. Je n'ai donc pas plus de deux semaines pour saisir le fonctionnement du service, et y être propulsé provisoirement à la tête par intérim.
J'ai été très gentiment accueilli par Guy, coopérant entreprise, qui loge dans un grand appartement en haut d'un immeuble que nous partagerons.
Ce soir, à l'occasion de la fête du 14, réception à la résidence de Monsieur l'ambassadeur, réservée aux personnalités dominicaines et aux autres ambassadeurs en République Dominicaine. La réception pour les Français aura lieu demain. Je suis tout de même présent ce soir afin d'être présenté à l'ambassadeur.
Je me sens un peu déplacé au milieu de tous ces uniformes et ces grands personnages, mais tout cela est finalement très amusant, pour une fois que je me gave de petits fours aux frais de la France!

"Ce fut admirable de découvrir l'Amérique, mais il l'eût été plus encore de passer à côté." (Mark Twain)

Mardi 14

Fête nationale. En France bien sûr, mais l'ambassade ici ferme; lorsque l'on dit qu'une ambassade est une extension du pays représenté, je ne pensais pas que ce le fut pour les mentalités aussi.
L'ambiance ce soir est un peu plus décontractée qu'elle ne l'a été hier; Sans doute parce que l'on se comporte avec moins de réserve uniquement entre Français. Plusieurs journalistes dominicains sont quand même présents, et j'ai droit à une interview filmée: visiblement ça ne leur a pas plu que je dise que je n'aime pas particulièrement le football. Une autre journaliste veut aussi venir m'interviewer plus tard sur mon travail de coopérant.

"Sauver la France? Sauver la France? Et qui gardera mes vaches pendant ce temps-là?" (Anouilh: l'alouette, le père)

Mercredi 15

Je n'aurais jamais du dire que je m'y retrouve un peu dans les entrailles d'un PC... Les commandes pleuvent, et me voilà dans le bureau de Sandra, la future ex. secrétaire de l'ambassadeur qui veut laisser sa machine en ordre pour celle qui va lui succéder.

"Les hommes ne s'attachent point à nous en raison des services que nous leur rendons, mais en raison de ceux qu'ils nous rendent." (Labiche)

Jeudi 16

Despedida (pot de départ) de Sandra. Encore des petits fours dans le bureau de l'ambassadeur, ce poste commence à me plaire sérieusement.
Je ne peux décemment continuer ce journal sans parler des "apagones" que l'on peut traduire par "Coupure électrique multi-journalière à horaire et durée in(dé)terminable". La récente campagne électorale avait amélioré la situation, mais hélas c'est fini. Vivement les prochaines élections. Il en résulte un système de secours à 3 étages: d'abord une "planta", groupe électrogène pour l'alimentation de l'immeuble, il se met en route si le technicien est là. Ensuite dans chaque appartement, une rangée de batteries pour survenir aux besoins domestiques vitaux. Enfin, pour les appareils sensibles comme les ordinateurs, un redresseur de courant et un onduleur. Il serait intéressant de chiffrer la perte de productivité des entreprises liée à cette catastrophe que représente la distribution d'électricité.

"L'oisiveté est la mère de la philosophie." (Hobbes)

Vendredi 17

Encore une despedida, la despedida officielle du conseiller culturel, dans le patio de la maison de France. Les grands amis dominicains de Robert ne manqueront pas de faire les éloges grandiloquents de celui qui a été l'artisan de la non moins grandiose coopération Franco-Dominicaine. Les murs surchauffés du patio encouragent la consommation de jus de fruits frais absolument délicieux.

Samedi 18

Visite de la fabrique de Denis, un Français qui s'est installé près de Santo-Domingo dans une zone franche pour y faire fabriquer des maquettes de bateaux.
Le soir, despedida non-officielle cette fois de Sandra, dans un bar australien. La musique, la fumée et l'air glacial de l'air conditionné m'envoient régulièrement dehors pour admirer les étoiles. Re-excellents petits fours préparés par un autre français expatrié. La communauté française n'est pas très grande ici (prés de 2000 ressortissants) mais visiblement très soudée.

"Nous louons les gens à proportion de l'estime qu'ils ont pour nous." (Montesquieu)

Dimanche 19

Passé la moitié de la journée à courir après une voiture pour la faire vérifier par un mécanicien, en vue d'un éventuel achat. Le vendeur est plus qu'antipathique sous sa fausse jovialité, et il n'hésite pas à me dire qu'il me fera payer la voiture plus cher si je ne la prends pas tout de suite... Je suis heureusement accompagné par Esteban, le gardien de la Maison de France, qui a vraisemblablement quelques notions de droit dominicain (calqué sur le modèle napoléonien).
Ai découvert ce soir un des très rares plats que je ne puisse avaler: les sushis.

"Rien ne sert de courir; il faut partir à point." (de la Fontaine)

Lundi 20

Encore une journée perdue à la poursuite d'improbables papiers en vue de l'achat dudit véhicule. Finalement la transaction ne se fera sans doute pas, le prix est trop élevé pour une petite voiture.
L'attaché culturel en profite pour me passer un savon, histoire que je ne prenne pas trop l'habitude de m'absenter de mon poste lorsque lui n'y est pas non plus.

"Et l'absence de ce qu'on aime, Quelque peu qu'elle dure, a toujours trop duré." (Molière)

Mardi 21

Mon prédécesseur était vraisemblablement quelqu'un de très ordonné, et il va me falloir sans doute quelque jour pour mettre à jour le secret de son système de classement. Je n'ose pas même ouvrir les armoires à classeur, de peur que l'envie d'y mettre de l'ordre me prenne.
La conduite automobile ici est tout simplement anarchique, bien que Régis prétende que c'est encore pire en Inde. En effet, là-bas ils invoquent le Karma, alors qu'ici ils invoquent le Klaxon, c'est plus efficace. A partir de là, tout est dit, il suffit de savoir qu'il n'existe que quelques croisements ici à Santo-Domingo équipés de feux rouges, les rares panneaux de priorités ne sont pas respectés, pas plus qu'une quelconque règle logique. Il faut avoir un gros 4*4 pas trop neuf et un Klaxon d'opéra pour se faire respecter, c'est tout. Il est à noter que le trafic a très fortement augmenté depuis deux ans.

"Il n'est rien au monde ... d'aussi utile que l'ordre, ni d'aussi beau." (Xénophon, 4°S. Av. J.C.)

Mercredi 22

Il faut absolument que je trouve une voiture; le système des transports publics ici est assez peu pratique, sinon très hétéroclite. Il existe plusieurs systèmes, dont visiblement aucun n'est officiellement public. D'abord un système de bus, en plus ou moins bon état, qui dessert les très grands axes. Ensuite les "carro publico", système rendu possible par la géométrie des rues, en quadrillage à l'américaine. Ce sont des voitures privées, pourries pour la plupart, en bon état jamais, qui parcourent les rues d'un bout à l'autre (parfois d'un bout de la ville à l'autre). Il suffit de faire un signe au chauffeur pour qu'il s'arrête. On essaye alors de se caser où il reste de la place (jusqu'à sept personnes dans une voiture, après le conducteur a des scrupules sur le confort des passagers). La course coûte alors entre 2 et 5 pesos suivant la longueur (1 peso = 0,4 FF). Il existe enfin des taxis, pour lesquels le prix de la course est au minimum de 40 pesos, plus si on vous prend pour un Américain. Le prix de la course se négocie avant de monter. les voitures sont généralement en meilleur état que les "carro publico", mais il m'est arrivé d'en prendre un dont l'état aurait fait mourir de rire un mécanicien du contrôle technique en France...

"- Eh bien moi, je t'irai porter des confitures." (Victor Hugo, L'Art d'être grand-père)

Jeudi 23

Je m'aperçois que certains taxis font aussi office de "carro publico". Si un client demande alors une course de taxi, les autres occupants sont expulsés du véhicule d'un claquement de doigt. Bref, difficile de s'y retrouver. En fait, il ne faut pas hésiter à parler, à demander ce que l'on veut et demander ce qui est proposé. C'est finalement beaucoup plus convivial, à l'image de ce que j'avais rencontré à Moscou, et à l'opposé de la situation à Paris où tout est fait pour que les gens n'aient pas besoin de sortir de leur mutisme pathologique.
J'ai failli me noyer cet après-midi en rentrant chez moi! Je pars du bureau, soleil, normal. Arrivé au bout du "Conde" (LA rue marchande) il commence à faire quelques gouttes... N'ayant pu trouver un gua-gua (autobus) m'amenant à destination, je me résigne à sortir mon parapluie. Il a fallu que je m'arrête sous le premier porche traversé, déjà surpeuplé, afin de ne pas finir complètement trempé. Je finis tout de même par repartir sous la tempête agonisante, et juste avant mon immeuble, je bute sur un torrent! Je suis pourtant prêt à jurer qu'il n'était pas là le matin même. Mais non, il s'agit bien d'une rue, puisque voilà un 4*4 qui passe...

"Petite pluie abat grand vent: longues beuvettes rompent le tonnoire" (Rabelais)

Vendredi 24

Les petits caniveaux des rues en descendant vers le Malecon (l'équivalent de la Croisette) sont jonchés d'immondices. Pas étonnant, vu qu'hier, les poubelles ont été vidées directement dans les "torrents" de rue...
Coup de téléphone de la douane à l'aéroport, on me demande si je leur apporte la clé de ma malle qui vient d'arriver ou bien s'ils cassent le cadenas... Je rétorque qu'il n'en est pas question, que je suis un "Diplomatico de la embajada de Francia". Rendez-vous est fixé à demain matin.

"On a toujours l'air de mentir quand on parle à des gendarmes." (Charles-Louis Philippe)

Samedi 25

Nous partons de bonne heure avec Oscar, le chauffeur et Elisa, elle aussi fraîchement arrivée de France, et dont les bagages l'attendent à l'aéroport. Je m'attends au pire. Entre les récits des douaniers voleurs et des administrations à la lenteur toute française,  je m'attends à tout.
En moins d'une heure tout est réglé, tout le monde a été très gentil avec moi, je n'ai rien dû payer, et les douaniers n'ont même pas fouillé ma cantine! Ceci dit, ils n'ont pas même vérifié mon identité.
Ce soir nous mangeons à "La fondue", où avec Véronique, Elisa et Guy, nous dégustons des spécialités australiennes, comme son nom l'indique.

"On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés." (Diderot)

Dimanche 26

Après un bon petit déjeuner chez Véronique qui travaille à l'aéroport, nous voilà partis avec Etienne, stagiaire chez Denis, à l'aventure, vers l'intérieur des terres.
Après avoir dépassé San Cristobal, nous prenons la montagne, et dépassons Cambita Garabitos. Après Los Cacaos, le chemin n'est plus goudronné, et le 4*4 n'est pas de trop pour certains passages. Nous traversons souvent de petits villages faits de maisons en planches peintes aux couleurs vives. Les femmes vont chercher de l'eau à la source, les hommes jouent aux dominos sous les terrasses en tôles ondulées; et les enfants qui jouent, nombreux sur l'unique rue du village, nous lancent des "Balom, balom, balom!" joyeux, Je doute de trouver ce mot dans mon dictionnaire.casas de Campo, Cliquer pour la taille supérieure.
Nous arrivons après une seule fausse piste (il n'y en avait pas d'autres de toute façon) et quelques avocats achetés à une vieille femme, à la Presa, un barrage et un lac artificiel à moitié vide, où l'on produit pourtant de l'électricité, d'après le militaire isolé, sans moyen de transport, qui garde le barrage et est bien content de trouver à qui parler. "Porque ya se marchan?"
La montagne en face est superbe mais abrupte. Il y a quelques rares maisons isolées, reliées par d'invisibles chemins sous la couverture des arbres.
Nous nous jurons de revenir ici sacs au dos pour pousser plus avant notre exploration.

"Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité."'Lévi-Strauss)

Lundi 27

De retour au bureau, où je commence petit à petit à rentrer dans mes nouvelles fonctions. IL faut que j'apprenne très vite les procédures que j'aurais à utiliser, d'autant plus que l'attaché culturel part à la fin de la semaine et qu'il pense déjà plus à son retour qu'à ma formation. Je reçois fréquemment des jeunes et des moins jeunes qui viennent solliciter des bourses ou demandent simplement des informations sur les formations proposées en France. Je fais aussi passer un espèce de simple test linguistique pour l'obtention du visa étudiant.

"Trop heureux les hommes des champs, s'ils connaissaient leurs biens!"(Virgile)

Mardi 28

Suis allé me faire immatriculer à l'ambassade. Je devais aller chercher la valise diplomatique de temps en temps à l'aéroport, mais finalement cela ne se fait pas pour quelque obscure raison.
Pour rentrer de la maison de France, je prends un carro publico depuis la "puerta del conde"; or je me suis aperçu que pour savoir où se rendaient les carro publico, il suffisait de regarder la main du conducteur. S'il la sort par la fenêtre, ce n'est pas pour lui faire prendre l'air. Il indique tout simplement avec son index la direction qu'il va prendre: tout droit, à droite ou à gauche. Version rudimentaire des numéros de lignes sur nos bus parisiens.
Il est bien entendu hors de question de boire l'eau du robinet ici. Aussi, il suffit de passer un coup de fil au "colmado" (petite épicerie) d'en bas pour nous faire livrer une bonbonne, le tout pour 15 pesos.

"Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces." (Jean Paul Sartre)

Mercredi 29

Nous avions confié à la femme de ménage le soin de faire faire des rideaux pour nos chambres... On m'avait pourtant prévenu, il vaut mieux surveiller comment sont exécutés nos ordres. Ce fut un véritable désastre, il faut tout faire refaire. Du coup pour la voiture que je veux acheter, je me suis adressé à un Français installé depuis longtemps ici qui vendait sa 205, la transaction devrait avoir lieu sous peu; tant mieux, ça commençait à me peser d'avoir à prendre un taxi tous les matins.

"Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage, Et service d'autrui n'est pas un héritage." (Molière)

Jeudi 30

Beaucoup de voitures chinoises et coréennes ici. Elles constituent d'ailleurs la totalité du parc automobile des "carro publico", de vieux modèles croulants qui se ressemblent tous et font que l'on ne peut les confondre avec des voitures de particuliers.
A midi, dernier pot d'adieu de monsieur le conseiller culturel, avec tout le personnel de feu la maison de France.

"Nous sommes tous l'heure qui sonne." (Blaise Cendrars)

Vendredi 31

Que d'émotions pour un départ volontaire. Me voilà un peu isolé dans cette grande maison, heureusement que la secrétaire pleine d'expérience est là pour me conseiller.
Bien que le virement pour l'achat de ma voiture n'ait pas encore eu lieu, le vendeur de ma voiture a accepté de me la laisser pour la fin de semaine. En effet, nous allons partir à huit pour ma première sortie à la plage. Nous partons ce soir avec Cosette, une Dominicaine qui travaille à Air France, Elisa et Etienne. Une fois arrivés à Bayahibe, après une route éprouvante, nous finissons les restes d'un restaurant qui ferme déjà à 21H30.

"C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière." (Edmond Rostand)
 
 




 


Mise à jour le 16 aout 1998