Un Méens à Santo Domingo

Journal

Août 1999

Vendredi 13 août 1999

Voilà plusieurs mois que nous voulons faire le Pico Duarte, le point le plus haut de l'île, mais aussi de toutes les caraïbes. C'est presque un pèlerinage pour les Dominicains qui le gravissent surtout pendant la semaine sainte et les trois premiers mois de l'année. La plupart des personnes à qui nous avions fait part de notre projet avaient essayé de nous décourager : il fait chaud, il fait froid, c'est dur, il faut une semaine, il faut le faire à dos de mules, il pleut, il y a des rats dans le refuge... Bref, même le livre que j'avais acheté il y a trois mois était plus optimiste.
Mais bon, nous sommes jeunes et vaillants et depuis deux semaines nous allons courir de temps en temps (avec Eric, Antoine, Stéphane et Mickael) pour se refaire une forme.

Cet Après midi, c'est le grand départ. Eric a du travail à finir mais nous réussissons à partir vers 16H avec Antoine et Stéphane.
Après s'être trompé de route une seule fois après Jarabacoa, nous finissons par arriver  à Manabao vers 19H. Ce n'est qu'au troisième et dernier colmado du village que nous finissons par trouver Nan, le guide qui m'avait été recommandé. Nous n'avions pas pu le contacter auparavant, car il n'y a pas de téléphone ici. C'est un petit Dominicain déjà plus très jeune mais qui semble bien vif. Nous nous entendons pour emporter une mule pendant la durée de la randonnée prévue : trois jours. Comme nous ne savons pas où dormir, Nan nous emmène à une pension tenue par Patria, qui nous offre le repas du soir et la nuit dans des chambres individuelles pour le prix record de 75 pesos par personne...

« Les hommes doivent souffrir leur départ comme leur venue ici-bas ; le tout est d'être prêt. » (William Shakespeare)

Samedi 14

6H. Malgré toute notre bonne volonté (...) nous n'avons pas réussi à nous lever avant. Après quelques ablutions et le café maison de Patria (fantastique) nous prenons ma voiture tous les cinq la piste qui nous mène jusqu'à " Boca de los rios " où doit déjà nous attendre Nan.

8H. Ce n'est qu'après avoir rempli les papiers (et surtout payé les droits d'entrée) du parc national que nous pouvons enfin prendre le sentier. Heureusement que nous avons une mule, car nous n'aurions jamais pu tout porter, entre les deux tentes et la nourriture pour six pendant trois jours...

13H. 15 km et 1800 mètres de dénivelé plus haut, nous voilà à " Aguita fria " juste avant la descente qui doit nous mener jusqu'au refuge. Nous avons doublé tous les autres groupes, mais aussi beaucoup souffert dans la dernière montée qui porte bien son nom : " du repentir ".
Alors que nous sommes partis d'une forêt typiquement tropicale, assez dense avec des palmiers, des fougères de différentes espèces, un sol argileux, nous sommes désormais dans un paysage plus rocailleux, composé de pins éparses.
Nous avons ici juste le temps de remplir les bouteilles d'eau dans la résurgence à même le sol, et de manger notre repas. Alors que nous nous apprêtions à prendre une sieste bien méritée, Nan nous averti de l'imminence d'un orage... En effet, à peine repartis, une pluie serrée commence à nous tomber dessus, accompagnée d'éclairs du plus bel effet.

15H. Nous sommes tous trempés jusqu'à la moelle, lorsque nous arrivons enfin au refuge de " La comparticion ". Il est composé de deux bâtiments - un plancher, quatre murs de planches mal ajustées et un plafond en zinc - dont le plus grand sert de dortoir et l'autre de cuisine. La pluie s'arrête de  tomber, et j'envie l'expérience scoute de Eric et son frère qui ont placé leurs habits dans des sacs plastiques...
Peu de temps après arrive un groupe de huit Dominicains partis en même temps que nous et un couple de jeunes norvégiens en voyage de noces qui redescendent du pic. Les autres groupes de ce matin ont bifurqué à gauche au milieu de la montée pour rejoindre la vallée " del tetero " dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle est paradisiaque.
En contrebas du refuge, il y a une superbe source à l'eau délicieuse avec une belle vasque.

19H. La nuit tombe et nous nous retrouvons tous autour du feu pour faire sécher nos habits et nos chaussures trempées. Le froid est piquant, heureusement qu'il n'y a pas trop de vent.
20H. Nous voilà couchés pour notre première nuit à presque 3000m d'altitude. Il fait froid, très froid (merci Romain pour le duvet) et certains d'entre nous n'hésitent pas à dormir habillés...

« Toujours et partout existe une ascension. » (Jean Grenier)

Dimanche 14

8H. Après un petit déjeuner succinct, nous voilà reparti pour la dernière ascension, avec seulement un sac à dos rempli de pulls (le guide a dit qu'il faisait froid là haut) de l'eau et quelques denrées. Pendant la montée, nous croisons un cadavre de cheval tout gonflé et des ossements de ce qui semble avoir été un mulet. Hummm le bon air de la montagne...

10H. L'arrivée au sommet est décevante. Au bout d'un sentier à plat, on butte sur un amoncellement de rochers : le Pico Duarte, 3090m, c'est ça. De même, le sommet est un peu pollué entre les drapeaux, plaques, et le buste de Duarte - père de la patrie - qui couronne le tout, toutes les caraïbes. Mais on est bien récompensé par la vue qui porte très loin, malgré l'incontournable présence des nuages. Seule la nuit voit fuir ces derniers, ce qui permets d'après Nan de voir les lumières de toutes les villes du pays. On constate d'ici l'immensité de la cordillère de cette île toute couverte d'une verdure d'émeraude. Il ne fait pas froid ici, il fait même plutôt chaud, et le soleil tape dur.

12H. Nous voilà de retour au camp de base, mes pieds me font souffrir de manière atroce. Après avoir englouti un kilo de pâtes, nous allons nous coucher pour une sieste bien méritée. Nous aurions aimé partir au "valle del tetero " ou rentrer directement, mais le guide craint un autre orage, et nous ne pouvons pas quitter le refuge car le camping est interdit dans le parc national.

17H. L'après-midi c'est passé entre commatage et jeux avec les autochtones. Il y a notamment Ellie, 11 ans, qui se dit déjà guide. En effet, il manie le fouet avec une dextérité impressionnante : je n’aimerais pas me retrouver à la place de ses mules…

20H. Nous voilà tous autour du feu, avec un groupe de touristes qui sont arrivés dans le courant de l’après-midi, tous à dos de mule. Nan est persuadé que le pic se trouve à 3.800m d’altitude, nous n’avons pas le courage de lui affirmer le contraire, finalement, c’est lui qui le grimpe depuis 17 ans ! Les bouteilles de rhum commence à circuler, et l’alcool aidant, les esprits dérivent vers le surnaturel et les mythes du pico duarte…
Il est notamment question de la Ciguapa… personnage emblématique du pico, son histoire remonte aux premiers conquérants de l’île. Elle est décrite comme une petite femme nue aux longs cheveux, mais son trait le plus caractéristique est qu’elle a les pieds à l’envers : tournés vers l’arrière ! La légende raconte qu’elles étaient à l’origine des indiennes Taïnos, dont les conquérants européens auraient abusé. Alors, leur chef leur aurait conseillé de ne jamais tourner le dos aux étrangers, d’où la position des pieds qui permettait aussi de dépister les poursuivants…
Quoi qu’il en soit, même Nan ne l’a jamais vue, il affirme que depuis que le sentier existe, elle a peur des touristes et n’ose plus se montrer.

« Et si le mythe c'était la vérité? » Valery Larbaud »

Lundi 15

7H45. Les premiers rayons de soleil viennent de toucher le campement, et nous pouvons enfin nous réchauffer. Tout est déjà empaqueté, et comme presque toute la nourriture c’est évaporée, nous sommes bien content de pouvoir confier tout notre chargement à la mule… Même avec tout ce poids sur le dos, c’est elle qui cavale le plus vite, surtout dans les montées !
Et c’est là, à la descente que nous nous rendons compte du parcours que nous avons fait le premier jour… Nous sommes impressionnés par ce chemin que nous avons pourtant gravi en moins de 6 heures… Le marcheur est tellement concentré dans son effort, qu’il ne se rend même pas compte de ce qu’il fait. Plusieurs passages ne nous rappellent absolument rien.

13H. Nous voilà en bas de la pente, au refuge de «Los Tablones ». Un superbe torrent y coule, et nous ne pouvons résister à nous plonger dans l’eau glacée…

15H. « Boca de los rios » On l’a fait.

« Le succès fut toujours un enfant de l'audace. » (Père Crébillon)

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Mise à jour le 24 août 1999